Lagarce – Juste la fin du monde

Eléments biographiques

Jean-Luc Lagarce est décédé en 1995, à l’âge de 38 ans, à cause du sida. Depuis son enfance, il est différent des autres enfants, il a des relations conflictuelles avec les autres. Cette situation ne s’arrangera pas, puisqu’il est homosexuel, ce qui est très difficile à vivre durant la seconde moitié du XXe siècle. Il est comédien, metteur en scène, dramaturge. Lorsqu’il apprend qu’il est séropositif, il va s’isoler à Berlin trois mois pour écrire Juste la fin du monde, pièce dans laquelle on retrouve une forte dimension autobiographique.

L'œuvre

Il s’agit d’une pièce dans laquelle il n’y a pas d’action. Louis rentre chez sa famille après des années d’absence pour leur annoncer sa mort prochaine, mais il n’y parvient pas. Son retour au sein de la « cellule familiale » (j’emprunte l’expression à André Gide) fait ressurgir les tensions entre les membres de la famille et révèle les crises : crise familiale, crise personnelle.

L’œuvre se scinde en cinq morceaux : un prologue, deux parties séparées par un intermède, et un épilogue.

Dans le prologue, Louis annonce la raison pour laquelle il revient dans la famille : il veut annoncer sa mort à ses proches.

Dans la première partie, les tensions se révèlent : chaque personnage en présente un autre, et le retour de Louis occasionne des disputes. Suzanne lui reproche son absence, Louis ne connaît pas Catherine, la femme d’Antoine, des tensions éclatent entre tous les personnages, Antoine se montre agressif… 

Dans la deuxième partie, Louis repart, ce qui déclenche de nouvelles tensions. Antoine et Suzanne veulent tous deux raccompagner Louis à la gare, Catherine dira de son mari qu’il est violent, ce qui mettra ce dernier en colère. Il s’en va sans avoir réussi à dire à sa famille ce qu’il voulait leur annoncer : sa mort prochaine.

Dans l’épilogue, Louis est déjà mort, pourtant c’est sa voix que l’on entend : il regrette ne pas avoir poussé un « grand et beau cri ».

L’oeuvre de Lagarce est tragique, puisque l’enjeu principal (mais qui n’aboutit pas) est l’annonce de Louis, qui doit révéler sa mort. C’est un homme malheureux, en conflit constant avec son frère Antoine, rappelant l’histoire de Caïn et Abel, qui finissent par s’entretuer. A ce tragique est aussi mêlé de l’ironie : rappelons que le titre Juste la fin du monde considère un évènement apocalyptique comme quelque chose de dérisoire.

Les thèmes abordés

La famille : l’oeuvre tourne exclusivement autour des personnages appartenant à la même famille. Lagarce étudie ces relations de manière approfondie. On remarque la présence de la mère, de trois frères et soeurs, mais l’absence du père. Louis et Antoine semblent en conflit pour occuper cette place. La mère est ambivalente, puisqu’elle ne semble pas très proche de ses enfants (par exemple, elle ne se souvient pas de la date de naissance de Louis). Lagarce aborde le thème de la famille à partir de l’angle du conflit, des non-dits.

Le manque de communication est aussi une autre thématique : les personnages n’arrivent pas à communiquer, ils parlent mais ne se comprennent pas, les malentendus sont nombreux et les colères multiples… La figure de style la plus utilisée de l’oeuvre est d’ailleurs l’épanorthose, consistant à reprendre ce qui a été dit en le modifiant, en le corrigeant. Cela marque l’inaboutissement de tout dialogue, de toute forme de communication, donc la crise du langage.

Le parcours "crise personnelle, crise familiale"

La crise personnelle et familiale : Louis va mourir et veut annoncer cette mort auprès de sa famille. C’est sa crise personnelle, qui motive son retour, et ce retour révèle toutes les crises personnelles des autres personnages : Antoine se sent inférieur à Louis, d’autant plus que la mère est heureuse de ce retour, il est violent vis-à-vis de sa femme, Suzanne veut quitter la famille… Louis, auteur, voyageur, rappelle à son frère et à sa soeur leur banalité. D’où le fait que Louis soit pointé du doigt : on lui reproche de les avoir quittés. Et Louis ne se sent pas assez aimé.

La crise sous-jacente : la crise du langage. Les non-dits sont au coeur de la pièce : Louis revient pour annoncer sa mort mais n’y parvient pas. L’épanorthose employée par tous les personnages montre que chacun se corrige, chacun modifie ses paroles. Le discours n’est jamais direct et net, on est dans le ressassement, dans l’évitement, on parle mais on ne s’écoute pas, on ne s’entend pas, on ne communique pas. Il y a une impossibilité à communiquer qui est au coeur des crises personnelles et familiales. Cette crise de la parole est très intéressante puisqu’on est au théâtre, et le théâtre est fondé sur la parole. Juste la fin du monde va donc faire preuve d’une très grande modernité en tranchant totalement avec la tradition : il n’y a pas de réelle intrigue, les personnages n’arrivent pas à communiquer.

Laisser un commentaire